Le professeur Jean Roger Petit-Frère, 77 ans, est mort, jeudi 8 août 2019 vers 5 heures du matin, d’un infarctus massif, a indiqué au journal Le Nouvelliste un de ses médecins traitants. Le professeur avait été transporté mercredi à l’hôpital St-Luc pour une crise cardiaque.
Né à Saint-Louis du Nord le 2 février 1942, le professeur Petit-Frère a d’abord enseigné les mathématiques au lycée de Port-de-Paix, puis l’histoire dans des lycées et collèges de la capitale au moment où il étudiait les sciences sociales à l’École normale supérieure (ENS) et le droit à la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti.
A la fin des années 60, Roger Petit-Frère part pour le Canada où il poursuivi ses études en histoire et en sciences politiques. Il présente sa thèse de maîtrise sur « L’idéologie dans la musique haïtienne ». Il a enseigné pendant un certain temps dans des CGEP du Québec. De retour en Haïti en 1973, il reprit l’enseignement des sciences sociales.
« Roger a formé de nombreuses générations dans ce pays. Esprit critique et ouvert, enseignant de la critique historique et de la distance vis-à-vis du dogmatisme, il a toujours pris ses distances à l’égard de la politique et des idéologies creuses. Le pays a perdu un esprit, un historien, un politologue, de ces rares qui croyaient que l’éthique avait encore sa place dans les sciences sociales et humaines notamment en politique et en économie », témoigne de lui son ami l’ambassadeur Idalbert Pierre-Jean.
Le professeur Roger Petit-Frère a passé sa vie dans l’enseignement tant qu’au niveau secondaire qu’à l’université. Il a formé des milliers d’élèves et d’étudiants. Passionné d’histoire d’Haïti, co-auteur en 1992 avec maître Jean Vandal et Georges E. Werleigh d’un « Code rural de Boyer, 1826 » annoté, il laisse aussi un manuel d’histoire d’Haïti à l’intention des élèves de la classe de philo, « La naissance d’Haïti, 1804-1843 », et publié de nombreux articles dans des revues.
Conférencier, bon débatteur dans les émissions de radio, professeur d’analyse politique et d’histoire des idées politiques à l’Institut national d’administration, de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI) et à l’École normale supérieure (ENS) où il dispensait des cours d’histoire d’Haïti, Roger Petit-Frère a aussi enseigné à la Faculté des sciences humaines et à l’UNITECH où il fut directeur du département des sciences politiques. Il a aussi laissé ses traces à l’Université de la Fondation Aristide (UNIFA).
► À lire aussi : Le Professeur Roger PETIT-FRERE est mort
Engagé dans la bataille pour l’autonomie de l’Université d’État d’Haïti (UEH) après la chute de la dictature des Duvalier, le professeur Petit-Frère a été élu membre du conseil de l’Université d’État d’Haïti, membre des conseils de direction de l’INAGHEI et de l’École normale supérieure (ENS), son alma mater.
Toute sa vie, il s’est tenu proche de ses amis de la classe politique mais éloigné de la politique active. Roger Petit-Frère a refusé tous les postes. Sa seule charge publique a été, en 2007, celle de vice-président de la Commission présidentielle de réflexion pour le renforcement de la sécurité mise sur pied par le président René Préval.
Pour Frantz Duval, ami de sa famille qui a le premier annoncé le décès sur son compte Twitter, « le professeur Petit-Frère était un vrai universitaire qui inculquait le doute méthodique à ses étudiants. Toujours prêt à partager ses dernières lectures et ses analyses, le professeur jetait un regard lucide sur les péripéties de l’actualité ». Le rédacteur en chef du Nouvelliste estime que l’intelligentsia haïtienne a perdu une vigie avec la disparition du professeur Petit-Frère. « J’ai été son étudiant et je me rappellerai toujours comment il adorait bousculer nos certitudes et nous invitait inlassablement à exercer notre sens critique.»
Pour le professeur Wilhem Roméus, ami de longue date du défunt, « Roger Petit-Frère était un ami, un camarade, un professeur qui a formé plusieurs générations. Il était un chercheur émérite, un père de famille très attachant. Roger était une référence, un grand nom dans la critique historique. Il a dirigé l’ENS et l’INAGHEI. Roger était ouvert à tout le monde, ouvert à la discussion. Il refusait le dogmatisme, était en dehors de l’idéologie d’État, était toujours en quête d’objectivité ».
«C’était quelqu’un d’assez particulier, de très critique. Un homme extrêmement ouvert, très apprécié des étudiants. Les professeurs l’aimaient aussi. Il n’imposait pas ses idées. C’est une grande perte pour l’université», estime pour sa part le professeur Bérard Cénatus qui a codirigé avec Roger Petit-Frère l’École normale supérieure.
Pour l’historien Georges Michel qui fut son collègue au sein de la Commission présidentielle de réflexion pour le renforcement de la sécurité, avec la mort de Roger Petit-Frère, le pays perd « un grand Haïtien, un homme droit et honnête ». « C’était un grand intellectuel. J’ai eu le privilège de collaborer avec lui, c’était vraiment un homme de bien. Son décès est une grande perte pour le pays. C’était une de nos valeurs », a confié le Dr. Georges Michel au Nouvelliste.
Dans une note de presse diffusée ce jeudi, le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) a salué « la mémoire de Roger Petit-Frère, un mapou dans l’enseignement de l’histoire et des idées politiques ».
« Enseignant émérite, illustre professeur des sciences sociales et humaines, Roger, homme d’une rare simplicité, éveillant l’esprit critique, aura marqué le monde universitaire et de nombreux jeunes par son approche refusant tout dogmatisme, questionnant constamment ce qui peut paraître évident pour le profane. Un spécialiste dans la déconstruction du discours », dit de Roger Petit-Frère le ministère de l’Éducation nationale dirigé par son ancien étudiant Pierre Josué Agénor Cadet.
« Le décès du professeur Roger Petit-Frère a prolongé notre tristesse au sein de l’université après celui du professeur Michel Hector », a déclaré le professeur Fritz Deshommes, recteur de l’Université d’État d’Haïti au Nouvelliste.
« Roger Petit-Frère, c’était le professeur-symbole à l’UEH. Dès qu’on le voit, on voit l’UEH (Université d’État d’Haïti). Il était un des rares professeurs à enseigner les sciences sociales et l’histoire des idées politiques et sociales dans des contextes de dictature. Il fallait avoir beaucoup de courage et un bon savoir-faire. Roger Petit-Frère, c’est aussi une quarantaine d’années de carrière. Il avait un sens critique très poussé. Avec Petit-Frère, il faut toujours remettre en question, ne rien accepter comme tel. Il a inculqué l’esprit critique à ses étudiants. C’était quelqu’un de très simple, de très modeste, de très franc et très lucide. C’était un professeur engagé et qui croyait que l’université devait aussi s’engager pour transformer la société. C’est une grande perte pour l’université, pour le symbole qu’il était », a conclu le recteur de l’Université d’État d’Haïti.
Jean Roger Petit-Frère, dernier survivant d’une lignée de sept frères (…)
Lire la suite sur Le Nouvelliste